Photos par DMalou
Connaissez-vous cette célèbre citation de John Muir : “The mountains are calling and I must go”. ?
Oui, pour moi la montagne est un appel. Foulez un jour un sentier à peine dessiné, admirez des nuages tourmentés s’enrouler autour des cimes hautaines ou l’aigle qui glatit dans l’azur d’un ciel d’été. Les pieds qui souffrent pour que les yeux contemplent, une beauté si brute qu’elle écrase l’âme de sa puissance. L’air et l’eau tellement purs qui frappent d’une brûlure fraiche peau et poumons. La sonnaille du bétail dans l’alpage et le chalet noirci par le temps. C’est un soi humble qui est forcé de faire face à elle, rude et enchanteresse, elle vous rappellera à elle encore et encore à partir du jour où vous l’aurez découverte.
Cette année s’est offerte une nouvelle opportunité de me rendre à la montagne accompagnée de mes deux frères photographes, Derek et Clarent Malou. Chacun armé d’un appareil et chargé d’un sac à dos, nous avons parcouru les sentiers et les points de vue sous une météo un peu moins que clémente pour capturer l’humeur boudeuse du temps.
Chéri entre tous car chargé de mes souvenirs d’enfance, le petit village de Grindelwald est notre destination. Cette année notre point de chute est l’Hotel Belvedere. Cette institution quatre étoiles est lancée en 1904 par la famille Hauser qui aujourd’hui perpétue l’aventure hôtelière à la troisième génération. La facade grise et rose, ni vraiment moderne ni vraiment ancienne d’un établissement pourtant historique, me laisse une première impression mitigée. Mais il me suffit de passer les portes du lobby pour être complètement charmé par le luxe discret d’une décoration contemporaine qui s’ouvre sur des larges baies vitrées face à la face nord de l’Eiger. Nous savourons avec plaisir la boisson fraîche offerte en bienvenue dans l’ambiance tamisée avant de découvrir la chambre moderne avec sa décoration soignée, son balcon et sa large salle de bain. Ma conclusion, un rapport qualité-prix sans faute pour cet hotel haut de gamme sans rien perdre du but de vacances à la montagne : de l’authenticité et une ambiance chaleureuse avant toute chose.
C’est dans les cabines qui montent à First que nous débutons notre journée. Nous avons exploré la possibilité de monter jusqu’au lac de Backalpsee à la force de nos jambes pour le rejoindre à l’aube mais notre état de fatigue ne permet pas la soustraction d’une nuit de sommeil au compteur. Nous saluons un couple de jeunes américains qui nous sourient depuis la cabine suivante. Je ne sais si c’est l’air sans pollution mais les rapports humains sont très simples en montagne.
Le soleil est là mais l’hiver à tiré sa révérence si tardivement cette année que mi-juin les hauts-pâturages restent marqués par son étreinte glacée et de hauts murs de neige persistent au-délà de 1800m d’altitude.
Malgré cela, une abondance de gentianes bleues se nichent au creux de chaque rocher et des marmottes saluent notre passage tous les 50 mètres. Le sentier traverse des plaques de neige et quand nous arrivons à Backalpsee, le lac est encore figé par une épaisse couche de pâte bleutée qui fond très lentement à l’ombre des flans montagneux. L’Eiger dévoile quelques seconde un pan de son sommet qui déchire les nuages pour se cacher plus profondément dans l’abri opaque. C’est l’unique fois où nous le verrons sur les trois jours passés là. Nous descendons au rythme des arrêts photos. Le déjeuner pique-nique se fait sur un long muret de pierre qui fait face à une belle chute entre First et Waldspitz. Pain, saucisson, fromage et le grondement de l’eau qui s’élance puissamment au bas de la roche, voilà ma meilleure définition du luxe…
La descente raide qui part depuis la droite de First vers le village zigzague entre de vieux pins qui font pendre leurs branches au-dessus de la tête comme un dais émeraude tandis que les racines sortent du tapis mou des aiguilles comme autant de marches sur lesquelles trébucher.
En bas dans le village, un glacier – fait de crème et de parfum, pas celui qui s’écoule entre les montagnes – nous fait de l’oeil et douce folie, nous traversons la rue avec un cornet rafraichissant au bout du bras.
Le lendemain, réveil à 4h30. Nous prenons le premier train pour Wengen depuis la relativement récente (2019) gare de Grindelwald nichée en son creux. Hors de l’Europe, Wengen est un idéal touristique irrésistiblement célèbre. Malgré que je connaisse bien la région, c’est la première fois que je m’y rend. A flan de la montagne et avec pour seul accès le train, le petit village surplombe la vallée étroite de Lauterbrunnen et ses 72 chutes d’eau en enfilade. Nous savons que c’est un point de vue qui sera apprécié des amoureux de la photographie et nous attendons donc le lever du soleil avec ses conditions idéales promises. C’est-à-dire, une coulée de soleil dans la vallée.
Mon métabolisme de réveil est lent, il marche à contre-courant de celui de mes deux compagnons. Debout mais pas encore éveillée tout à fait, Derek et Clarent me houspillent de leur dynamisme mais une heure plus tard, je commence à plaisanter et rire tandis qu’ils s’enfoncent dans une torpeur morose. Les conditions idéales ne seront jamais là pour ce jour et nous descendons déçus pour le point de vue suivant.
Mannlichen. Un petit sommet de 2343m que j’ai souvent grimpé enfant. Une énorme couronne dorée très kitsch forme aujourd’hui une terrasse au sommet. C’est le royal walk expressément conçu pour les touristes qui se prennent en photo et qui y accèdent depuis les cabines chauffées. Deux vallées se découvrent depuis le sommet entre les nuages qui enveloppent la cime. Celle de Lauterbrunnen et celle de Grindelwald. Au loin, le lac de Brienz est tapi comme un joyau turquoise. La Jungfrau constamment dans les brumes porte bien son nom. Telle une belle demoiselle aux douces courbes blanches, elle s’élève altière et dominante sur les autres sommets qui l’entourent. Mönch est le second plus haut sommet des Alpes Bernoises après elle.
C’est en oblique vers Alpiglen que nous dirigeons nos pas à la recherche d’une composition photographique plus originale que les vues mille fois prises en photo. Depuis Männlichen, le chemin qui mène sur une face désolée jusqu’au col de Kleine Scheidegg est fermé pour cause de neige. Si le paysage est assez lunaire, je me rappelle pourtant avoir déjà suivi cet itinéraire du sommet au col prenant toute la journée avec une certaine satisfaction. Nous le suivons en parallèle jusque’à ce que le sentier finisse par s’éloigner vers le bas. Rochers, buissons, petits sapins, loin des points touristiques à photographier, tout ce qui n’est atteignable que par la force des jambes est désert. Rarement nous croisons, un couple au dessus de la cinquantaine, qui s’adonne avec simplicité au plaisir démodé de la marche sans performance. Après la pause pique-nique sur un tapis d’aiguilles de pin avec une vue à couper le souffle, nous remettons nos sacs à dos et obliquons finalement tout à fait vers Grindelwald.
Retour vers le village. Seulement l’orage commence à gronder et au gré des arrêts photo, nous prenons du retard. Entre les prés, les sapins et les chalets qui recommencent à pointer, nous accélérons le pas sans rien perdre du charme du paysage. Encore loin en haut du village, un vieux chêne aux branches noueuses couvre à moitié le toit d’un vieux chalet à l’allure imposante. Les planches noircies et les petits carreaux irréguliers des fenêtres témoigne du passage du temps. C’est ma demeure rêvée. Je me vois bien regarder le soir tomber depuis son seuil comme un havre où j’irais me reposer de mes aventures.
Mon genou m’arrache des grimaces de douleur dans la descente et tandis que des trombes d’eau nous tombent dessus, une part de fatigue et une part d’ivresse s’emparent de moi. Le tonnerre fait trembler la roche, secoue mes membres qui malgré moi accélèrent, les éclairs déchirent les nuages tandis que la station où est garée la voiture est encore un minuscule point tout en bas. Nous aurions pu prendre la cabine au départ et nous épargner ces 20km de descente raide mais je ne regrette pas l’effort et la pluie. Mon frère me fait signe en riant que mon visage aux cheveux collés est aussi rouge qu’une tomate. Tant mieux, c’est vivifiant. Trempés, nous finissons par rejoindre la voiture, épuisés mais heureux de la beauté de la marche accomplie.
Pictures by DMalou
You surely know this famous quote from John Muir : “The mountains are calling and I must go”…. This year I saw a new opportunity to go to the mountains with my two brother photographers, Derek and Clarent Malou. Each loaded with a backpack full of photographic gear, we hiked the trails and hunted viewpoint under the sulky mood of the weather.
No need to explain that I love the mountains. And more than all the small village of Grindelwald. This time our base is the Belvedere Hotel. Four stars, it is the third generation that runs this hotel, which was started in 1904 by the Hauser family. The facade of this gray and pink institution, neither really modern nor really old, leaves you first with mixed feelings. But one only needs to step through the lobby doors to be completely charmed by the discreet luxury of a contemporary decoration that opens onto the mountain panorama. A welcome drink is sipped down with pleasure before we are led to a perfectly decorated bedroom with a balcony and an XXL bathroom – the latest being somewhat rare nowadays. My conclusion is a faultless quality-price ratio for this luxurious hotel without losing anything of the purpose of a mountain holiday: authenticity and a warm atmosphere above all.
The first day starts in the gondola going up to First because the program is tight and we have to reach Backalpsee lake early in the morning. We would have loved to make the ascension by foot but we have had to get up at 1 a.m. to reach it at sunrise. We wave at a couple of young Americans smiling at us from the next gondola. In the mountains, human relations are straightforward and friendly.
The sun is there but winter has stayed so late this year that in mid-June the high pastures remain marked by its icy embrace and high walls of snow persist above 1800m altitude.
Despite this, an abundance of bright blue gentians nestle in the hollow of each rock and marmots greet our passage every 50 meters. The path crosses patches of snow and when we reach Backalpsee the lake is still frozen and covered by a thick layer of bluish dirty paste which melts very slowly in the shade of the mountainsides. The Eiger reveals a section of its summit for a few seconds and then hides deeper in the shelter of the clouds. It will be the only time we are going to see it’s summit uncovered. We descend to the rhythm of some photo stops and I rediscover this agricultural and family vibe I love to Grindelwald above all else. We stop to eat on a low stone fence facing a beautiful waterfall between First and Waldspitz. Bread, sausage, cheese and the rumbling of the water which plunges powerfully down the rocks is my definition of luxury…
The steep descent which starts from the right of First towards the village zigzags between old pines. Their branches hang above our heads like an emerald canopy while the roots emerge from the soft carpet of needles like as many steps to trip over. Down in the village, an ice cream shop gets our attention and sweet folly, we cross the street with a refreshing cone at the end of our arm.
The next day, we wake up at 4:30 am. We take the first train to Wengen from the relatively new (2019) Grindelwald station nestled in the hollow. Outside of Europe, Wengen is an irresistibly famous touristic destination. Although I know the area well, this is my first time in the village. On the side of the mountain and only reachable by train, Wengen overlooks the narrow valley of Lauterbrunnen and its 72 waterfalls. We know this is a point of view that will be appreciated by photography lovers and so we await the sunrise with its promised ideal conditions. We just need a ray of sun in the valley for the picture we have in mind.
My waking up metabolism is slow and exactly the opposite of my two companions. I’m standing up but I’m not quite awake yet, Derek and Clarent nag me with their dynamism but an hour later I start to joke and laugh as they sink into a morose torpor. The ideal conditions will never be there for that day and we come down disappointed for the next point of view.
Mannlichen. A small summit of 2343m that I often climbed as a child. A huge, very artificial golden crown forms a terrace at the top and spoils everything. This is the royal walk expressly designed for tourists who take photos of themselves and access them from the heated cabins. Two valleys can be seen from the summit when the clouds part for a few minutes. It’s Lauterbrunnen on one side and Grindelwald on the other. In the distance, Lake Brienz can be seen. The Jungfrau peak is constantly into the clouds. Like a beautiful young lady with soft white curves, she rises haughty and dominant over the other peaks that surround her. Mönch is the second highest summit of the Bernese Alps after her. It is towards Alpiglen that we direct our steps in search of a photographic composition more original than the eternal same views. From Männlichen, the path that leads over a desolate face to the Kleine Sheidegg pass is closed due to snow, we follow it in parallel until the path ends up receding downwards. Rocks, bushes, small fir trees, far from the tourist spots, everything that can only be reached with the strength of two strong legs is deserted.
When we rarely meet people it is a couple over their 50’s who simply indulge in the old-fashioned pleasure of a hike without any performance in mind. The younger generation is only seen either on the easy, lazy touristic spots or getting exhausted into an extreme sportive experience. After the picnic break, we put our backpacks back on and finally change direction completely down towards Grindelwald.
Let’s return to the village. But the thunderstorm is getting close and as we stop frequently for pictures, we are falling behind on our plans. Between the meadows, the pines and the chalets which begin to appear again, we accelerate the pace without losing any of the charm of the landscape. Still far above the village, an old oak tree with crooky branches half covers the roof of an old, imposing chalet. The blackened wood and small irregular panes of the windows tell how old it is. This is my dream home.
I can clearly see myself watching evening fall from its threshold like a haven where I would go to rest from my adventures. My knee gives me so much pain on the way down that I trip frequently and as the rain falls heavy on us, a part of fatigue and a part of drunkenness takes hold of me. The thunder shakes the rocks, shakes my limbs which in spite of me accelerate, the lightning tears the clouds while the station where the car is parked is still a tiny point at the bottom. We could have taken the gondola back and saved ourselves the 20km of steep descent, but I don’t regret the effort and the rain. My brother gestures to me with a laugh that my face with sticky wet hair is as red as a tomato. So much the better, it’s invigorating. Soaked, we finally get back to the car, take out the well-protected photographic gear and set off for the evening shelter and a stop elsewhere in Switzerland.