6 Juillet 2020
Réflexions sur la pandémie et le confinement
Les frontières avec mon pays viennent d’ouvrir sans conditions. En théorie je suis libre. J’ai du mal à le réaliser. Il souffle un vent d’oubli. Le virus n’existe plus dans les esprits il ne fait plus peur à personne sauf à ceux que l’âge et les accro de santé rendent méfiants. Voilà plusieurs semaines que me reviennent les échos d’une vie dont je suis éloignée par les frontières. Mes amis fêtent l’insouciance et des invitations me sont parvenues de tant à autre pour me proposer de les rejoindre. Au fur à mesure que je les décline, elles s’éteignent. Loin des yeux, loin du coeur comme on dit, c’est un peu vrai en amitié ou en tout cas pour la vie sociale.
Que s’est-il passé pendant ces 5 mois? 5 mois ou je ne suis pas entrée dans un autre magasin que celui de nourriture ou autres petites nécessités à la vie de campagne. 5 mois ou je n’ai même pas pris la peine de mettre des chaussures le matin si ce n’était pour aller me promener dans les prairies et les forêts. 5 mois sans shopping, sans acheter de nouveaux vêtements ou gadgets, sans aller au restaurant, sans presque prendre le volant d’une voiture… 5 mois sans cinéma, sans festival, sans concert, sans café. Ce n’est pas grand chose. C’est même complètement normal pour énormément de gens qui n’ont pas les moyens de se procurer ces choses. Rien d’héroïque n’a été demandé de moi. Je me suis toujours demandé quelles étaient mes ressources intérieures en cas de difficultés majeurs. Comment j’aurais réagis pendant la guerre. Est-ce que j’aurais pleuré et tremblé les bras ballant ou aurais-je eu le courage de faire, tels mes héros, partie de la résistance ? La question est sans réponse. La pandémie ne m’a réclamé aucun héroïsme. J’ai vécu cela comme une enfant gâtée mais j’ai mesuré ma chance un peu et je ne me suis pas plainte je crois. C’était le moins que je puisse faire.
Je remercie le Ciel pour la manière dont j’ai vécu ces 5 mois. Vivre tout cela la porte ouverte sur la nature et l’espace c’était les conditions de confinement les plus luxueuses que l’on puisse avoir. C’était comme vivre les meilleurs moments de douceur campagnarde mais sans aucun intermède de civilisation et des êtres aimés tenus à une triste distance.
Je remercie le Ciel que les vieilles personnes que j’aimais sont toutes parties avant le Covid, avec une main connue pour étreindre la leur dans leur derniers instants. Qu’ils n’ont pas du s’en aller dans la solitude et l’abandon. Laissés pour compte par une société qui néglige la vieillesse et la prive trop souvent des ses droits aux soins, à la vie, au respect. Voilà une forme de discrimination qui soulève peu de protestation malheureusement.
J’ai eu cette chance de vivre l’isolement sans être isolée de la tendresse car plusieurs membres de ma famille étaient là avec moi pour goûter à la nature et déguster nos desserts informels à même les buissons de framboisiers. J’ai tellement de chance. Je suis devenue un peu sauvage pendant ces 5 mois et j’aime ça. J’ai fait des choses que j’ai toujours voulu faire. J’ai appris que la boulangère que j’ai souvent rêvé d’être s’improvisait avec facilité et qu’il y avait énormément de choses que l’on pouvait faire soi-même. J’ai appris à mieux gérer le garde-manger, à me passer de petites choses inutiles, à moins gaspiller. J’ai appris à vivre sans planifier le futur car il y avait même des jours dont je ne connaissais plus la date. Quelle importance aurait-elle eu puisque je n’avais pas de planning à remplir? J’ai appris que vivre un jour après l’autre avait son charme et que cela s’appelait l’abandon. Bizarrement aussi, je n’ai jamais autant travaillé et appris de ma vie. Avec un ordinateur, on peut tout faire de loin. Je remercie le progrès pour ce cadeau.
J’ai appris un peu de botanique pour pouvoir appeler les fleurs sauvages qui couvraient les prairies par leur noms communs comme de vieilles connaissances. J’ai observé les oiseaux qui nichaient chez moi un peu plus attentivement. Hier soir, j’ai mangé un pain fait de mes mains, un nappe étalée sur le sol, ma famille autour de moi. Après dîner, comme j’entamais une balade solitaire dans les bois, une daine isolée s’est enfuie avec à sa suite un minuscule faon aux yeux tendres. Il devait être né quelques heures plus tôt.
Pour écrire tout ceci, je me suis assise sur une vieille souche et tandis que j’étais absorbée par mes pensées, un renard un peu pelé m’a approchée. Les oiseaux chantaient dans la haute futaie d’un endroit appelé la grande crique et le soleil déclinant jetais ça et là des taches d’or sur le sous-bois tandis qu’il caressait d’un trait oblique les troncs d’arbres. J’ai senti tellement fort cette paix, ce sentiment d’être à ma place avec ma peau mordue par le soleil, ma simple salopette et ces animaux qui ne me considéraient pas comme une intruse. Durant ces 5 mois, mes contacts sociaux se sont résumés à l’appel et la correspondance de quelques amis. Ma distanciation sociale se faisait sans peine et je pouvais faire des face-à-face amicaux avec des mouflons curieux qui respectaient bien la distance d’un mètre cinquante.
J’ai n’ai pas fait de Zoom ni d’E-apéro car cela me semble tellement artificiel ! Moi qui ai déjà du mal à communiquer à travers un écran et un microphone, cela me paraissait s’accrocher à un côté mondain sans même la chaleur humaine d’être aux côtés d’une personne pour lui parler. Je ne sais pas ce qui me dérange précisément, si c’est cette impossibilité de laisser des blancs amicaux, de voir en direct une physionomie qui change, des subtils nuances dans un regard, un rire dont toutes les notes sont véritables. Quel triste défaut j’ai de ne pas savoir conserver la même richesse de relation humaine à travers un téléphone. Entendre des voix aimées si loin et si près à la fois m’est resté un réconfort malgré tout et puis il me restait les messages qui tissent un lien de coeur à coeur à travers la distance.
Il me manque de voir grandir les boucles folles d’ensorcelantes créatures pas plus hautes que mes genoux et le sourire canaille d’un bambin au joue rondes que je vois en photo étreindre son canard. Ils grandissent loin de leur tantine. Est-ce bien la fin ? Suis-je libre de passer les frontières, oublier la contrainte d’un ennemi inconnu? Revoir ceux de ma famille de qui j’étais séparée par des frontières. Que croire? Qui croire? Demain ne se refermera pas sur nous? Tout semble absurde. On ne nous sert que du mensonge. On nous agite ou nous rassure au gré des besoins comme des marionnettes.
L’image d’une pizza dégustée sur une terrasse avec un grand verre de soda replis de glaçons danse devant mes yeux. Parfois il me prend l’envie de me plonger dans le bruit d’une fête mondaine pour oublier de penser. Mais non, pas trop vite. Je ne veux pas que toute la vie redevienne, trop vite, trop bruyante, trop en surface.
Je lève mon chapeau et m’incline avec respect devant ceux qui ont vécu cela dans quelques mètres carrés d’un logement étouffant. Je donne mon respect, ma prière et mes pensées à ceux qui bien pire encore ont vécu cela dans un lit d’hôpital et se débattent encore pour reprendre pied. A ceux qui sont partis, seuls et abandonnés. A ceux comme cette amie courageuse qui ont soigné des malades. A ceux qui aujourd’hui perdent leur travail ou voient leur entreprise s’écrouler.
Mais moi, mais nous, qui avions un jardin, des garde-mangers et des gardes-robes remplis, de quoi pouvions-nous nous plaindre? Quelle chance inouïe nous avons eu. La chance d’une vie peut-être de mettre une vie folle en pause et d’apprendre à aimer notre propre compagnie sans bruit pour troubler la réflexion. La chance de goûter à la simplicité. Celle pour laquelle l’homme profond est fait. Vivre selon ses propres désirs, débarrassés de tout regard extérieur. Des enfants et adolescents timides ou originaux, qui loin de la pression sociale, loin des persécutions et du harcèlement, loin de cours qui leur volent leur liberté d’enfant, se sont mit à respirer, créer, jouer sans peur. Developper sa personnalité propre sans plus personne à qui se mesurer ou se conformer. C’est une chance qu’une vie active moderne donne trop peu. C’était celle de nos ancêtres qui faisaient volontiers l’école buissonnière pour jouer dans les ruisseaux et apprendre la vie sans contrainte.
Pendant ces mois de confinement, des mains chanceuses habituées à sortir leur carte de banque et étreindre un verre ont tout à coup repris l’habitude de tenir une bêche. Jamais autant de plantes n’ont du être plantées que durant ce confinement. Jamais les jardins n’ont été plus beaux. Mon propre petit carré de fleurs à couper n’a jamais été aussi prospère et bien soigné que cette année.
J’ai appris avec amusement qu’il y avait des files pour acheter des poules. Plus un seul chien en vente. Les machines à coudre et mille bricolages on été ressortis. Les livres dépoussiérés. Il a fallut réapprendre l’art perdu de s’ennuyer sans ennui comme aux temps de nos grand-parents. Quelle vie saine et comme les hommes qui avaient un bout de terre ont été proches de ce pourquoi ils sont fait.
Et nous avons passé ces jours aussi au plus près de ceux que la vie nous a donné en premier à aimer. Nos familles. Pourquoi pour beaucoup ce sont ceux que l’on fuit le plus d’habitude? Ces parents, ces enfants, ces frères et soeurs qui connaissent si bien nos rêves, nos façons de rire, quand on est triste, heureux ou enthousiaste. Qui connaissent les mêmes blagues et dont les souvenirs communs sont autant de liens indestructibles. Pourquoi ce besoin en temps normal de rechercher à plaire à d’autres personnes que nos familles en quêtant plus leur compagnie et leur approbation que la leur? Peut-être parce qu’on n’aime pas le fait qu’ils connaissent trop bien nos faiblesses et nos côtés humains. Mais ce sont ceux aussi qui connaissent le mieux nos forces intérieures et toutes les qualités que l’on possède bien au-delà de nos apparences.
Et j’espère dans mon coeur que pour nous qui avons eu cette chance, malgré toutes les contraintes et le mal que la pandémie à pu faire à certains, nous allons garder le cadeau que ces temps hors du temps nous ont fait. J’espère que les familles resteront proches, que des enfants qui souffraient du harcèlement pourront continuer à vivre libre et sans peur à la maison. J’espère que l’on continuera à prendre le temps de regarder avec tendresse une petite poule qui prend son bain de sable, que le pique-nique dans les champs en famille remplacera quelquefois le restaurant chic avec des amis. Que les papas et les mamans prendront le temps de mettre de côté leur travail pour regarder leur enfants grandir sous leurs yeux. Que les nouveaux chiens ne seront pas abandonnés au prochain voyage. Que les jardins ne dessécheront pas au profit des festivals. Qu’on éprouvera de la gratitude pour tous les plaisirs superflus dont la vie nous gâte et qu’on saura qu’ils ne font pas le bonheur mais mettent seulement des petits bonus ça et là.
Que nous saurons qu’étancher notre curiosité en découvrant le monde est une chance mais qu’on est aussi bien chez soi. D’ailleurs c’est paradoxale parce que je n’ai jamais ressenti autant le besoin de voyager et découvrir le monde que quand mes frontières étaient fermées. Mais chaque chose en son temps et j’étais si bien chez moi.
J’espère que l’on pourra se rappeler souvent qu’il faut vivre moins vite, moins en surface. Hier soir, quand nous rentrions de notre pique-nique, j’étais passagère dans la voiture et je regardais le soir tomber sur les villages. Tout était si calme ! Si simple! Des enfants jouaient au ballon, une femme arrosait ses fleurs, quelques hommes bavardaient ensemble tranquillement tandis qu’un vieillard aux mains calleuses regardait la voiture passer sur le pas de sa porte.
La lune se levait orange et ronde au-dessus des champs de blé murs et le ciel était bleuté avec une bande rosée violette à l’horizon. A gauche de la lune, la première étoile brillait. Que ressentait l’homme simple des temps anciens quand la terre était couverte de forêt, qui rentrait chez lui et se retournait pour contempler cette beauté saisissante dont il ne connaissait pas les mystères ? Face aux temps incertains, contemplons la nature. L’avenir ? Avec confiance mais pas trop vite…
Salomé Malou
Waw !
C’est magnifique !??
Merci Savannah !