1 an sans vie sociale

February 16, 2021

Réflexions sur le confinement et la pandémie – Partie II

Peut-on vivre un an coupé de toute vie sociale ? C’était la question d’une amie en 2019 et qui aurait cru quand nous en avions parlé que je l’accomplirais. Sans doute même cela durera-t-il plus d’un an. La pandémie m’a retenue chez moi à la campagne 5 longs mois et quand la liberté m’a été offerte un bref moment durant l’été, je n’avais pas de raison ni d’invitations pour braver les kilomètres, les tests et les quarantaines. Le temps et la distance ne me fait oublier personne. La vie sociale est ainsi faites qu’elle défavorise ceux qui vivent une vie différente ou qui ont grandit sans rester longtemps dans le même endroit avec le même type d’entourage… 
On pourrait représenter cela par un train remplis de personnes qui sont en permanence ensemble. Qui vivent la même vie, au même rythme avec le même paysage. Mais pour ceux qui sont en dehors du train, il faut sans cesse faire l’effort de courir à côté pour rester dans le rythme social. Si par choix ou par obligation les “outsiders” prennent une pause, le train n’attends pas et les amis ensemble dans le train prendrons à peine note de l’absence de ceux en dehors qui se sont arrêtés.
Beaucoup de personnes éprouvent un sentiment de solitude et d’isolement par ces temps. Seulement, j’envie un peu tout ceux qui ont eu l’occasion de voir quelques amis, se sont retrouvés pour des balades entre voisins, se sont apprêtés pour un événement joyeux comme un mariage, ont mené un semblant de vie normale et active. Je n’écris pas ceci pour me plaindre. Ni pour y attacher trop d’importance. La sociabilisation est en quelque sorte une préoccupation de gens privilégiés. L’on peut simplement éprouver de la gratitude de ne pas vivre toute une vie de solitude. 

Les personnes qui manquaient déjà il y a 7 mois manquent toujours plus fort. Combien de personnes ai-je pu revoir dans le courant de l’année ? Un moitié de ma famille, deux amies… C’est si loin quand on ne vit pas dans les mêmes pays. Prendre la voiture, faire un test, quarantaine dans un sens, puis dans l’autre. Un test pour ci, un test pour ça… Restrictions, complications, interdictions… Dès que l’on bouge on se sait pas à quelle sauce on sera mangés. Les mesures qui changent aussi vite que le vent balayaient sans cesse les agendas. 

C’est étrange comme je n’avais encore jamais mesuré quelle chance c’était de revoir quelqu’un et de passer un moment ensemble. Ensuite il y a la déchirure de se dire “à bientôt”. Cela veut dire quoi bientôt en période de Covid ? C’est un bientôt pour les enfants. Celui qui se perd dans les brumes de l’espace-temps sans limite bien définie et qui laisse l’angoisse au coeur. Un bientôt qui échappe à notre contrôle.

Quand ma seule occasion de voyager m’a été donnée cet été, je me suis retrouvée à la montagne, en compagnie de pêcheurs. Merveilleux intermède où j’ai été au restaurant pour la première fois après 5 mois. J’ai mis les pieds dans un centre commercial une fois après 5 mois. C’était tellement étrange. Maintenant cela fait 7 mois que je n’ai plus vu ni l’un ni l’autre. Alors oui, je suis peut-être un peu solitaire et profondément rurale dans mes goûts mais cela devient dur. Le ton de ma réflexion est plus amère qu’il y a 7 mois. 

L’on me dit que pour moi, cela ne doit rien changer. Je suis habituée à rester à la campagne. Casser la glace, nourrir les animaux, porter de lourdes charges, nettoyer du fumier, jardiner, rentrer du bois dans le vent glacé. Je n’ai pas vraiment des mains de femme. Ces longues mains lisses et blanches aux longs ongles polis. Mes poignes sont petites et fortes. Souvent rouges et rugueuses. Je ne mets jamais de rouge sur mes ongles courts. C’est une couleur pour des mains de femme. Pas les miennes. Mes placards ont toujours été à peu près vides de cosmétiques mais les deux-trois produits qui y trainent sont désormais desséchés. Je sors encore mes jolis robes même si ce serait plus pratique de ne mettre que mon jeans et mon pull de laine sans cesse. Noël était mon seul prétexte pour mettre des boucles d’oreilles et mes chaussures brodées.  

Moi et mes chers compagnons de vie, nous vivons une solitude partagée. Solidaires dans notre isolement radical. Les voitures rouillent devant la maison. Un an que je ne connais rien d’autre que ma vie de campagne. L’on se dit toujours que cela ira mieux, que l’on peut encore un peu tirer sur la corde de la patience, que peut-être le mois prochain on pourra bouger plus facilement. Mais c’est toujours pire…

Quand la vague de froid est tombée sur nous, la neige s’est abattue avec des flocons grands comme des soucoupes pour vers le soir, se transformer en pluie glaçante. Les chevaux frissonnaient, les poules sont rentrées dans leur abri. Sous une pluie battante, il a fallu affronter le mauvais temps pour mettre les chevaux à l’abri, les couvrir d’une couverture, donner de l’eau, du fourrage. Veiller sur eux avant de se sécher nous-même. 

Le lendemain le vent s’est mis à souffler avec une violence dévastatrice. La température chutait encore vertigineusement. La tête couverte d’un bonnet, d’une écharpe et de mon capuchon, je suis sortie avec mes compagnons de vie. Pas question de rester au coin du feu, les animaux nous attendaient. Foin, eau, reparation de clôture, rentrer du bois pour alimenter les poêles qui sont devenus notre seule source de chaleur avec le chauffage en panne… Puis le vent s’est adoucit, mais la température a continué à chuter. Nous avons couvert les chevaux de couvertures avant de les sortir sous le soleil coupant d’un jour de grand gel. Le cadenas de la grille du jardin a du être ouvert à coups de tenailles. La journée est passée en un éclair à travailler dehors. Nos visages ont la teinte rougeaude des gens très ruraux. 

Et je pense alors avec ironie que notre vie maintenant ressemble un petit peu à celle de ces peuples qui vivent dans des vallées reculées et sur lesquels j’ai regardé des documentaires. Mais quand cette comparaison me vient, je me secoue et je me dis que j’ai tellement plus de chance car je ne vis pas leur dénuement. Même si la vie “active” des autres gens que je connais m’est devenue étrangère, j’ai encore des routes autour de moi (même si je ne peux presque pas les emprunter), une ville (où il ne se passe rien) à courte distance, un supermarché et bien des conforts modernes. Je mange à ma faim et l’hiver est très doux comparé à d’autres régions. En fait, tout dépend du sens dans lequel l’on se compare. 

Je pense à ces personnes que je connais qui vivent un deuil. Si moi j’ai dur, combien leur peine doit être plus légitime et insupportable. Combien de personnes vivent l’angoisse, la faillite, l’isolement, la pauvreté,… Alors oui, si certaines personnes me paraissent vivre une vie beaucoup plus normale que la mienne malgré le covid, il y a en d’autres qui n’ont pas ma chance. Tellement plus d’autres qui n’ont pas ma chance.  

Je me lève le matin et je souris en voyant mes petites poules qui se dandinent pour découvrir quel paysage les attends. Je rentre cuire le pain que j’ai fait lever la nuit et tandis que la cuisine s’emplis d’une bonne odeur de pain frais, un frère allume les poêles du salon. Parfois c’est moi qui allume le feu, parfois ce sont les hommes qui font la cuisine mais toutes proportions gardées, on dirait que notre mode de vie à reculé d’un siècle. Je vois sur leurs visages tendus l’épreuve que cet isolement et éloignement leur fait vivre à eux aussi. J’aime la tendresse de mes animaux de compagnie, leur stabilité. Mais je ne peux plus aller loin dans la forêt observer comment les cerfs et les mouflons vivent l’hiver. 

Si ce n’est l’isolement, nous avons la chance de ne pas être affecté par d’autres causes de détresse plus graves.  Alors, vaille que vaille, il faut garder un mental positif et attendre que l’on nous rende la liberté.

Il me prend souvent une irrepressible envie de danser et d’avoir du monde autour de moi ces derniers temps… Oscillant entre peine et joie qui ne demande qu’à se libérer. 

Seulement dans les ciels de gel aux étoiles brillantes, sur la neige balayée par le vent, derrière l’écran gris des nuages ou sous le soleil qui fait éclore la première fleur minuscule, il me revient sans cesse cette question. Quand, Quand, Quand ? 

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