Reportage sur Zermatt et la région de Jungfrau dans l’Oberland Bernois / Zermatt and the Berner Oberland, a travel story
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A chaque fois que mon frère photographe et vidéaste rentre de voyage, j’écoute ses aventures et je regarde ses films avec émerveillement. Ce métier, c’est sauter des repas, marcher facilement plus de 20km par jour, se lever à 4h du matin pour attraper le lever du soleil et arriver le soir 200 km plus loin pour attendre qu’il se couche. Mais c’est surtout des expériences inoubliables, des paysages à couper le souffle et la rencontre avec des personnes d’horizons et de pays différents. Depuis longtemps, j’ai eu envie de faire un reportage sur un de ses voyages. Alors quand il me propose de l’accompagner en Suisse pour un reportage de 5 jours, je saute sur l’occasion. Je serais son assistante mais aussi le reporter de nos aventures.
Dimanche 19 Juillet
Furka Pass
La même impression prend invariablement l’âme lorsque l’on revoit les montagnes après longtemps. L’on a oublié combien elles étaient hautes et belles. A chaque tournant, à chaque mètre de plus, c’est comme découvrir un angle nouveau à un visage aimé. Elles sont là, immuables, impressionnantes, douces ou dangereuses. Du fond de la terre, elles communient avec le ciel.
Notre première étape en Suisse est Zermatt où Derek à rendez-vous avec un pêcheur à la mouche sur un lac d’altitude. La région que nous traversons avec la voiture est italienne. Les fermiers font les foins en prévision du temps qui va changer. J’admire les femmes musclées et bronzées qui au bout de long râteaux de bois rassemblent l’herbe sèche. Des enfants de 12 ans, fiers comme des coqs, pilotent des petits véhicules Aebi spécialement conçus pour la montagne. Dans un village, nous croisons un défilé de tracteurs, arborants coquettement une gerbe de blé et des fleurs à l’avant. C’est tout le charme rural qui s’offre à nous. Je suis frappée par la beauté des églises. On parle un drôle de mélange d’Allemand et d’Italien par ici. Depuis le canton d’Uri nous décidons de prendre le col de la Furka pour arriver dans le Valais.
La route consiste en un mince ruban qui s’élève au flan du cirque montagneux. Ce célèbre col culmine à 2429 m. Fenêtres ouvertes, nous respirons à plein poumons l’air pur. L’ambiance alpine s’abat sur nous comme une vague de sensations intenses. Je suis contente d’avoir passé le volant à mon frère. Epingles à cheveux se succèdent ne laissant parfois le passage qu’à une seule voiture. Quand on commence à redescendre, côté Valais, on passe devant l’hôtel Belvédère qui forme l’extrémité d’un tournant à angle aigu. Désormais fermé, il doit son succès dans les années 1880 à sa vue imprenable sur le glacier du Rhone. Après le col il nous reste 1h30 avant d’atteindre le parking du Matterhorn Terminal de Täsch où nous prendrons le train.
Zermatt

Le village de Zermatt n’est pas accessible en voiture. Les visiteurs doivent donc laisser leur véhicule à Täsch pour arriver à Zermatt où tout se fait à pied. Bien que la première auberge y ai été construite en 1839, c’est en 1865 que le village prend son essor grâce à la première ascension du Cervin. La vallée perchée à 1608 m offre le point de vue le plus spectaculaire sur cette montagne taillé en V comme une flèche acérée. Son autre point de vue, depuis le village Italien de Valtournenche ne présente que la face sud nettement moins fascinante.
C’est dans l’ombre du soir que nous atteignons le village. Après avoir pris la clef de notre chambre à l’hôtel Carina – un petit hôtel soigné et dynamique tenu par deux jeunes – nous déambulons dans le vieux centre. En empruntant la balade des Anglais, je recherche une vue peinte par mon arrière-grand-mère, femme sportive et amoureuse de Zermatt, début 1900. Je la retrouve comme je l’ai vu tant de fois sur son tableau. Les chalets se sont multipliés et les rues sont désormais couvertes de pavés mais l’ensemble ne semble pas avoir beaucoup changé. Face à face, les chalets sombres aux balcons vermoulus forment un étroit couloir au bout duquel on aperçoit un dégradé de bleu que noircit le crépuscule. Mais ce qui attire mon oeil, pile entre les balcons, c’est le seigneur incontesté de ce lieu. Perçant le ciel de ses arrêtes coupantes, la neige arrivant avec peine à s’accrocher à la roche abrupte, c’est le mon Cervin qui nous toise de ses 4478m. Où que l’on soit dans le village, l’oeil cherche la haute silhouette défiante. C’est la montagne parfaite. Celle qu’on l’on retrouve sur les dessins, les logos, les publicités…

La petite place du vieux centre est doucement rosée dans le soir tombant et une église impose sa masse tranquille face à des restaurants pleins de charme. Dans ce coin-ci tout est patiné par le temps et intimement étroit. Flâner dans les rues fait découvrir des potager aux salades bien rangées et une profusion de belles fleurs. Lupins, bleuets, arnica… Les touffes colorées côtoient des poules.
Au-delà du torrent qui sépare le village et du côté gauche de la gare; des hôtels. Un rue commerçante donne une touche un peu citadine et moderne mais dans l’ensemble Zermatt garde beaucoup d’authenticité. Des taxis électriques comme des jouets d’enfants parcourent la ville piétonne sans bruit. Nous n’aurons malheureusement pas le temps de tout visiter et nous rentrons à l’hôtel vers 22h pour un départ matinal. Derek se renseigne pour rejoindre le lac de Stellisee à pied depuis le village. Nous sommes prêts à nous lever à 3h du matin pour l’atteindre au lever du soleil. Malheureusement personne ne sait nous dire combien de temps la balade prend et où elle débute. Visiblement les montagnes sont très hautes et la plupart du temps il faut prendre un remonte-pente pour débuter les randonnées au dessus des sapins. Nous nous résignons donc à prendre le funiculaire jusqu’à Sunnegga et ensuite une cabine qui montera à Blauherd. De là il ne nous restera plus que 15 minutes de marche pour arriver à Stellisee à l’heure pour notre rendez-vous. Quand la gérante de l’hôtel apprend que notre départ à 6h30 nous fera manquer le petit-déjeuner, pleine de sollicitude, elle nous prévoit un sac à emporter. La chambre de l’hôtel est petite mais très propre et confortable. L’ambiance au restaurant et à la réception est branchée et conviviale. Nous retiendrons la bonne adresse.
Lundi 20 Juillet
Le lac de Stellisee

Avant de prendre la première montée du funiculaire à 8h, nous faisons encore un tour dans le village. Le soleil du matin, s’éveille sur le Mont Cervin et fait briller la neige tandis que le village dors dans l’ombre. Partout des camions aux mêmes formats jouet que les taxis glissent sans bruit avec des cargaisons de nourriture et de fruits frais. Ils vont fournir les hôtels des alentours.
En short et polar, nous chassons la fraicheur de l’aube avec le thé chaud que la gérante de l’hôtel, debout de bonne heure, nous a donné avec son sac de pique-nique. La gare du funiculaire se trouve à quelques pas et nous montons dans le train tracté jusqu’à Sunnegga. Encore la cabine jusque Blauherd et nous voilà sur nos pieds. 2571m d’altitude, il faut s’y habituer quand la veille encore on venait du niveau de la mer. Les premiers pas en monté et chargés de nos lourds sacs à dos donnent l’impression que nous allons mourir… La respiration siffle péniblement tandis que les poumons sont en feu.
Le paysage est minéral à ces hauteurs mais le panorama sur les montagnes coupe le souffle autant que l’oxygène raréfié. Le sentier descend bientôt sur un ravissant lac niché au creux de pans herbeux. Des moutons à nez noir typiques du Valais déambulent loin au dessus de nous. De près, l’eau peu profonde et transparente laisse voir un fond tapissé de pierres plates. De gros rochers noirs sont déposés ça et là. Quand on se retourne, l’ambiance est presque irréelle. Le Cervin enneigé se dresse plus proche au bout du lac. Sa silhouette et le bleu azur du ciel se reflètent dans l’eau comme dans un miroir.
Kirk Tinham et son client arrivent quelques minute plus tard. Derrière leurs lunettes de soleil, on peut voir des regards chargés d’excitation à l’idée de la pêche et un sourire enthousiaste éclaire leurs visages. Kirk de Fly Fish Zermatt est guide de pêche et depuis 2010, il a l’exclusivité de ce lac d’altitude. Anglais de naissance, passionné par la pêche à la mouche, il nous dit avoir travaillé longtemps avant d’obtenir son rêve : Taquiner les truites arc-en-ciel dans le cadre idyllique de Stellisee.
Le matériel est déballé et on peut prédire que la pêche sera bonne au vu des nageoires lustrées qui s’hérissent hors de l’eau en frétillant un peu partout. En guise de mouche, Kirk fixe un morceau de laine au bout de son hameçon. D’un geste du menton il désigne les moutons qui broutent sur les hauteurs. C’est un produit local qu’il a collecté sur la pente la veille. Le pêcheur se met en place au bord de l’eau. Son poignet décrit une rotation souple qui imprime au fil de pêche un arc gracieux en sifflant au dessus de la tête avant de se poser sur l’eau. Le mouvement fluide dans une main experte paraît facile mais il requiert beaucoup de patience et de précision. Il s’agit de capter l’attention de la truite sans l’effrayer. Kirk et son client ne tardent pas à ramener des poissons étincelants dans leur épuisettes. Les photos de ce moment resteront un souvenir de qualité à conserver.


Un oiseau de proie glatit loin dans l’intensité bleue du ciel. Le soleil qui monte commence à se faire sentir. Il y a longtemps que la brise qui s’est levée brouille la surface du lac mais les touristes affluent après un bon sommeil pour prendre en photo l’effet miroir. Kirk nous explique en riant que certains y passent la journée dans l’espoir de prendre la photo qu’ils ont vu sur les réseaux sociaux. Peine perdue, le miroir n’est visible que très tôt le matin ou tard le soir quand le vent est tombé… Le drone chargé de vidéos et l’appareil de clichés, il est déjà temps de redescendre. Un dernier coup d’oeil au tableau et nous disons au revoir aux pêcheurs avant d’emprunter le sentier qui descend entre les rochers.

Il est midi. A cette altitude, on ne sent pas la brûlure du soleil qui tape pourtant violemment. Il nous reste des sandwichs et c’est perché devant le Cervin et la vallée minuscule à nos pieds que nous allons déjeuner. Pour la première fois, je vois des Edelweiss. Nous préférerons prendre le temps de redescendre à pieds jusqu’à Sunnegga pour apprécier le paysage. Nous croisons deux ou trois petits lacs verts et turquoises sur la descente. Sur le lac de Leisee juste à côté de de Sunnegga, tout est fait pour la détente. Des gens se baignent, les enfants jouent. Il y a comme une petite impression de plage à la montagne. Les éclaboussures et l’eau scintillantes donnent très envie de s’y plonger.
De retour au village, nous allons récupérer nos bagages à l’hôtel et dire au revoir aux gérants qui nous ont bien soigné. Nous n’aurons pas vu grand chose de l’immensité du domaine de Zermatt mais ce pas grand chose aura été très riche en beauté.
Grindelwald

Nous reprenons la voiture à Täsch. Prochaine étape : Grindelwald.
Quand nous entrons de le Berner Oberland, je reconnais bien le paysage que je préfère entre tous. Nous le connaissons bien tous les deux pour y être venu presque tous les étés de notre enfance. La vallée s’ouvre large et riante sur de hautes montagnes tandis que les petites fermes sont dispersées dans les prés fleuris. Plutôt que de reprendre un col, nous avons décidé de gagner du temps et de mettre la voiture sur un train. L’attente est un peu longue mais l’expérience amusante.
A la descente du train, pour atteindre le village de Grindelwald, nous passons le long du lac de Thune. Long et large serpent turquoise entre les montagnes, j’admire le paysage par la fenêtre et je me promet de revenir y prendre un bain si le programme le permet. Après deux villages, la route monte doucement le long d’un torrent au grondement furieux. Le lendemain soir, après la pluie, quand nous allons longer ce torrent à nouveau, une vapeur épaisse et blanche s’élèvera de l’eau bouillonnante… Ce spectacle est splendide et Derek a le courage de tremper ses pieds dans l’eau glacée pour mieux capturer ce phénomène incroyable de beauté.
Si vous prenez un jour la route vers Grindelwald, vous reconnaîtrez sans peine une belle gare victorienne abandonnée et un pont de bois recouvert très typique. On met presque quarante-cinq minutes pour monter mais le pittoresque des alentours ravis les yeux.
Le village est là, étendu sur deux versants avec des jolis chalets de bois authentiques. Encore abondamment éclairé par soleil du soir il semble tellement accueillants aux voyageurs fatigués que nous sommes.
Du haut des balcons, les géraniums rouges et roses dégringolent en surabondance. Grindelwald est un village très familial avec un centre sans prétention, ni snobisme. Quelques magasins et des restaurants aux parasols lignés donnent une ambiance joviale. Ici, on n’y vient pas pour se montrer ni faire la fête mais juste pour s’imprégner de la beauté de la montagne, pour l’expérience sportive et pour partager rires et plaisir sur une terrasse fleurie. L’hôtel Schoenegg situé dans le centre du village mais légèrement en hauteur par rapport à la route principale, donne un beau point de vue sur la face Nord de l’Eiger. La chambre est spacieuse et le balcon s’ouvre sur les montagnes. Avec un service aimable et une jolie terrasse, nous profitons d’un repas anticipé avant de repartir explorer les environs.


Montez un peu plus haut dans le village et vous arriverez près de pensions charmantes ou de chalets habités par les locaux. Dans les jardins, des statuettes de nains souriants, des fleurs et un potager net. Encore très rural, ce qui fait pour moi toute la beauté de ce petit coin de Suisse, ce sont les fermes qui grimpent les alpages. Dès que l’on met le nez dehors, on peut sentir l’odeur du foin coupé qui embaume l’air alpin. Herbes vertes et fleurs sauvages ondoient sur la courbe douce qui monte vers les sapins. Les grillons font crisser leurs archets sous les clochettes. Ici et là un grand arbre étend ses branches comme un parasol. Le soleil jette des rayons obliques en caressant le toit d’une vieille étable aux planches noircies et des petites chèvres blanches font tinter leurs cloches dans un enclos. Un cycliste joyeux descend à toute allure la montagne en jodelant à plein poumons dans la douceur du soir….
Sur notre gauche on aperçoit les traces polies et sinistres du haut-glacier de Grindelwald (Oberer Grindelwaldgletscher). Sur la droite, les petits prés et les chalets s’étendent en courbes douce vers un versant qui s’ouvre encore gentiment sur le soleil couchant. Il suffit de quelques secondes pour voir le soleil disparaitre derrière la montagne. Derek fait voler le drone pour observer de plus près les curieuses roches grises abruptes usées par les glaces. La lumière est magnifique et le drone rend une image impressionnante d’un petit bâtiment perché loin en hauteur au beau milieu de la roche hostile. Etait-ce un observatoire ou un refuge pour les alpinistes du temps ou les glaces l’entouraient encore?
Puis tout à coup sans crier gare, l’appareil prend une branche de sapin et dégringole. Plus moyen de le faire redémarrer… En jetant un oeil consterné sur le paroi rocheuse et les quelques sapins qui s’y accrochent, l’oeil envoi vite l’information au cerveau que la situation est désespérée. Cela fait partie du métier de vidéaste mais cet accident pèse sur la soirée et nous fait rentrer dépités à l’hotel. Il semble tombé à un endroit impossible d’accès et le soir qui tombe ne permet pas de grimper pour une recherche dangereuse. La perte du drone, cela veut dire trouver à le remplacer pour les prises de vue des jours suivants mais cela veut surtout dire la perte des vidéos de Zermatt…
Mardi 21 Juillet
Gross Scheidegg

4h45 du matin. Le réveil sonne et la lumière de la nuit projette une tache laiteuse sur le sol encadrées par les rideaux ouverts. La literie de plume n’arrive pas à me retenir et je sors sur le balcon avant de m’habiller. La masse sombre de l’Eiger se découpe impressionnante sur le bleu plus pâle de la nuit. Sur son arrête dentelée se découpant en ombre chinoise, j’aperçois des petites lueurs clignotantes qui progressent péniblement vers le sommet. Un frisson me parcours… L’Eiger avec ses 3900m d’altitude est loin d’être dans le classement des plus hautes montagnes. Pourtant sa réputation est sinistre et plus d’un alpiniste chevronné a trouvé la mort en tentant son ascension par la terrible face Nord.
Ces grimpeurs de la nuit font l’ascension par un côté plus accessible mais l’image des ces lumières falotes se hissant dans la nuit me hante d’un émerveillement mêlé d’effroi. Je suis captivée par la fascination qu’exerce le défi lancé à la mort par les milliers d’alpinistes depuis plusieurs siècles. Cela valait bien la peine de se lever si tôt rien que pour être témoins de ce spectacle.
Pour commencer à grimper d’un côté ou de l’autre de la montagne, il est plus aisé de prendre la voiture ou un bus qui démarre directement au pied d’un chemin plutôt que de perdre 45 minutes à traverser le village à pied. Pour le col de la Grosse Scheidegg, nous nous rendons au parking d’Oberer Gletscher qui démarre au pied des sentiers. Le temps de lacer ses bottines et le ciel s’éclaircis déjà. Un paquet de biscuits en poche, nous commençons par prendre le chemin qui monte entre des prés pas encore fauchés et des étables. Bleu est le ciel qui s’éclaire doucement en perdant l’encre noir de ses teintes. L’air est vif mais confortable. Face à moi la pente. Derrière moi les hautes montagnes qui s’éveillent. Des nuages moutonneux sont suspendus ça et là mais nous espérons que le mauvais temps attendra que nous puissions capturer quelques beaux clichés.
Nous passons à côté d’une vieille étable flanquée de l’indispensable abreuvoir creusé dans un tronc d’arbre. Maintenant la température ne me donne pas encore envie d’y plonger les mains mais je sais qu’un peu plus tard, ce sera un véritable bonheur d’éclabousser mon visage avec l’eau pure des sommets avant de laisser dégouliner un filet d’eau glacée dans mon cou en sueur.
Depuis l’intérieur de l’abri buriné par le temps, une voix féminine au doux accent rond de la Suisse allemande, salue ses vaches avant la traite. Un léger tintement indique que les belles cloches au bout de lourds colliers de cuir qui sont suspendues au toit, ne sont pas juste des ornements folkloriques mais servent réellement encore de parure aux beautés rousses des montagnes. J’adore les témoignages patinés de l’art montagnard qui sont souvent accrochés au parois des chalets. Parfois c’est une grande luge rustique ou des râteaux aux dents courtes mais toujours dans ce bois doux, grisé et un peu fêlé par le temps.
Arrivés sur la route, nous avons le choix de prendre celle large et en pente douce empruntée par les bus ou le petit sentier de rocailles qui chemine entre les sapins. Le choix est vite fait, nos bottines partent à l’assaut de la pente. Le sol est tapissé par endroit par des aiguilles odorantes aussi enivrantes que le foin fraîchement fané.
Un pas après l’autre dans un mouvement régulier, nos 15 kilos de matériels photographiques sur le dos, nous devrions les faire lents mais l’impatience d’arriver de bonne heure à la Gross Scheidegg accélère le rythme cardiaque. Un doigt sur les lèvres, Derek se retourne et me désigne du menton une silhouette endormie dans son sac de couchage sous un petit abri, à même la table de pique-nique. Voilà un heureux marcheur qui a trouvé le bon plan pour se loger avec vue 5 étoiles… Nous aurions bien fait pareil.
Mais nous allons bientôt avoir encore une meilleure raison d’être partis de si bonne heure. Sur un pente d’herbe qui monte vers des sapins, deux tas de cailloux et de terre. Derek me souris et désigne dans un geste lent, trois petites silhouettes rondes et trapues. Dormeuses les marmottes ? C’est pourtant de curieuses petites lève-tôt qui nous observent. Mais voilà qu’encore plus près de nous une autre tête brune apparaît hors de son trou. En rampant, le photographe aguerri à ce genre d’exercice, approche la petite bête. Elle disparait pour réapparaitre dès qu’elle entend un peu de bruit. Les joues rondes, l’oeil vif, nous sommes détaillés de pied en cap. Ce petit jeu dure un moment avant que lassée, la marmotte ne se retire dans son tunnel et que nous reprenions l’ascension, ragaillardis par une pause amusante.
Après 2h à marcher dans les sapins et entre les rochers, nous arrivons au restaurant qui marque l’arrivée à la Gross Scheidegg. L’endroit est désert, nous dévorons l’image qui s’ouvre à nous. Le dos à Grindelwald, la Wetterhorn grise et proche se trouve à notre droite. Face à nous une pente herbeuse qui descend doucement sur un petit lac noir bordé de fleurs et d’herbes cotonneuses. Une hauteur agrippe quelques sapins que l’on retrouve un peu partout par grappes. A gauche c’est le sentier qui mène à First et du côté de Backalpsee. Couronnant l’écrin vert enchanté, des montagnes s’éloignent dans la profondeur du paysage en un dégradé de couleurs. Là-bas au fond c’est la vallée de Rosenlaui et le village de Meiringen.
Des vaches rousses arrachent l’herbe de l’alpage en faisant tinter leurs sonnailles. Les pans de ciel bleu se sont fermés sous la pression de nuages menaçants. En grimpant sur la petite butte derrière le lac, j’aperçois un deuxième lac qu’un rayon de soleil vient caresser furtivement d’une teinte chaude. La beauté de ce lieu est intime, Entre le charme de l’eau noire ou dansent la chevelure ondulante des herbes et la beauté rugueuse des parois rocheuses l’impression que cet endroit fait à 7h30 du matin est indéfinissable. Une touffe d’églantiers fuchsias ajoute une note romantique.


Derek sort son appareil tandis qu’une vache inquisitrice lui renifle les bottines. Nous avons le temps de capturer la moitié de la magie de cet écrin avant que la pluie ne nous fasse sortir nos vestes et couvrir les sacs afin de protéger le matériel. Dommage, n’avions plus le drone…
Nous scrutons le ciel pour savoir si l’orage prévu va nous permettre de rejoindre First. Pour aller de la Grosse Scheidegg à First, il y a une heure trente de marche facile sur un chemin large et plat, avant de remonter plus sèchement vers la station. Sous la pluie qui grésille, la vue sur les montagnes qui s’ouvre à gauche est belle. Du haut de la pente, planant sans bruit par dessus le creux d’un petit torrent, deux tétras lyres descendent en un éclair noir. La faune de Grindelwald est riche, nous allons en avoir encore une preuve.
First
Avant de remonter vers First, le chemin s’avance vers une ferme perchée devant le panorama des montagnes. Eiger, Mönch, Jungfrau forment l’arrière décor tandis que des vaches aux longs cils sont au premier plan. Se mêlent à l’herbes, des clochettes, du trèfle, de l’arnica, des marguerites et mille autres couleurs. Soudain un jeune chamois apparaît. Il bondit gracieusement dans la prairie avant de disparaître au galop. Le soleil joue à cache-cache avec la pluie et transfigure le décor de ses teintes douces.

First est nouvellement agrémenté d’un parcours suspendu dans le vide à flan d’un pic rocheux. La vue est imprenable sur la vallée. Le chemin en métal s’arrête au-dessus du vide pour une photo très “instagramable” et quelques personnes attendent leur tour pour prendre la pose. Le restaurant perché là à côté de la station de remonte-pente laisse échapper une bonne odeur de frites et de rösti. Nos ventres peu satisfaits par les biscuits réclament à grand cri leur du. Coca, frites, ketchup, pas très sain le festin de 10h30 mais quand on a déjà marché plus de 10km en montagne, on mange ce que l’on veut.
La journée sera longue pour nous, il est temps de reprendre la cabine qui descend sur Grindelwald. Elle s’arrête à quelques mètres de l’hôtel. Nous allons devoir prendre le bus pour récupérer la voiture. Nous faisons un bout de chemin à pied pour attendre à l’arrêt devant l’église du village. La base de l’hélicoptère est juste derrière. Les lourdes pales approchent en vrombissant et nous apercevons suspendus dans le vide, accrochés à la paroi de l’appareil, deux formes humaines. Dieu merci elles semblent en excellente condition. Probablement des alpinistes qui se sont retrouvés calés sur l’Eiger… La balade dans les airs a du être venteuse et bruyante…
Arrivés sur le parking d’Oberer Gletscher, Derek jette un regard vers l’endroit où le drone s’est craché hier. Il me montre sur la carte un sentier qui mène à un restaurant abandonné quelque part au bord du gouffre poli. Nous allons tenter une recherche. Ce matin nous sommes montés à gauche, maintenant nous irons à droite. Après avoir traversé un large torrent tourmenté enjambé par un pont, le sentier grimpe sec dans les sapins. L’endroit est sinistre. Au bout de 30 minutes de grimpe, on arrive au restaurant. Tout respire la tristesse et l’abandon. Un vieux panneau décoloré dont les lettres tombent, une terrasse ou s’ouvre un trou béant et à gauche un chemin barré, lui aussi à l’abandon. Prudemment, nous empruntons le chemin abandonné. Sur la droite on voit un bric-à-brac avec des vestiges de remonte-pente rouillés. Des sapins, des rochers et des buissons qui envahissent le sentier forment le décor peu accueillant. Derek me dit de m’arrêter tandis qu’il se rapproche un peu plus des pentes raides. Au-delà d’une certaine limite, c’est un précipice ou les arbres s’arrêtent en vacillant. Sur la dernière image du drone, rien ne laisse présager qu’il va heurter un obstacle tandis qu’il tourne lentement dans l’ancien lit du glacier. Et puis la cime d’un sapin apparaît de nul part et c’est la dégringolade. Il devrait être quelque part dans ce coin mais autant chercher une aiguille dans une botte de foin…
Pas question de risquer sa vie pour un drone et après des recherches minutieuses sur la zone sans risques, nous redescendons déçus.
Prochaine étape? Un magasin pour acheter un nouveau drone. Nous prenons donc la direction de la ville de Thune. De nouveau longer le lac turquoise. Cette fois j’ai pris mon maillot au cas où. Un shopping center, direction le Media Markt et nous voilà repartis avec un drone. C’est ironique, ce drone est la seule choses moins chère que nous avons pu nous procurer en Suisse! Sur la route du retour, je regarde sur la carte un endroit qui donne sur le lac pour s’arrêter. Ce n’est pas évident car ce côté du lac est bordé par la route ou les propriétés privées. Därlingen à l’air bien situé, nous prenons donc la sortie. Au bout du village, je trouve ce que je cherchais. Sur un coin de pelouse qui descend vers l’eau, un couple de retraités derrière leur barbecue et quelques paquets de chips en vente, affichent un panneau qui semble indiquer qu’on peut nager pour 2 francs suisses. Mes deux euros sont acceptés et je m’avance avec délice dans l’eau transparente. Derek n’a pas pris son maillot, il m’attend donc avec patience et bien sûr son appareil dans la main. L’eau doit faire 23°c et 150 m au-delà du rivage elle ne m’arrive toujours qu’à la taille. C’est splendide! Le soleil donne sur l’eau et tout est bleu. La surface de l’eau que rompt le contraste blanc des voiliers mais aussi les montagnes qui s’éloignent en dégradé indigo vers le bout de lac que je n’aperçois même pas. Quand on reprend la route pour rentrer à Grindelwald, je n’ai qu’une envie après cette baignade délassante, c’est de dormir. Le dîner à l’hôtel est dévoré et nous nous endormons du sommeil du juste avec 20km dans les pieds.

Mercredi 23 Juillet
Jungfrau Joch
La matinée s’annonce orageuse. Après un dernier petit-déjeuner à l’hôtel Schoenegg ou j’ai le plaisir de prendre le chocolat chaud de mon enfance avec du Caotina, nous prenons le train de 8h30 pour la Jungfrau Joch.
La Jungfrau Joch c’est un col entre le sommet de la Jungfrau – point culminant des Alpes Bernoises (4158 m) – et celui de Mönch (4107m). La plus haute station de train d’Europe y a été entamée fin du 19ème pour être terminée en 1912. Perchée à 3 463m d’altitude, il a fallut creuser la roche à coup de piolet afin de ménager un long tunnel qui parcours la face de l’Eiger et de Mönch. Sans aucune des technologies de notre époque, c’est à la seule force du bras que le génie de l’homme à conquit les hauteurs. Malheureusement beaucoup d’ouvriers courageux ont péris dans ce projet. Un hommage leur est rendu là-haut et on peut lire leur noms dans un couloir de la station.

Bien que la Kleine Scheidegg soit également accessible depuis Lauterbrunnen et Wengen, nous prenons le train à la gare de Grindelwald. L’engin s’élève lentement sous un ciel grisâtre. Malgré le temps maussade, le paysage ne laisse pas indifférent. Les montagnes se déroulent face aux pâturages. Par la fenêtre j’aperçois le chemin que nous avions l’habitude de prendre à pied. Je me rappelle avoir regardé parfois avec une pointe d’envie ou de commisération, je ne sais plus, ces voyageurs qui en à peine plus d’une heure s’élevaient bien plus haut que je n’avais jamais été. En tout cas cette fois c’est mon tour et je savoure ma chance de découvrir le domaine glacé de la haute montagne. Le train s’arrête dans trois stations avant son arrêt final. Alpiglen sonne comme un nom merveilleux. Sur cet arrêt, un restaurant… Mais pas n’importe lequel! Un vrai Suisse, qui sert d’authentiques tartines. Rien à voir avec une pâle attraction touristique.
Il me revient le souvenir d’ascensions vers le col de la Kleine Scheidegg ou plus à droite vers le sommet de Männlichen. Traverser un torrent, atteindre l’objectif et puis la descente avec un seul idée en tête… Les tartines aux fromage Suisse du restaurant d’Alpiglen. Que soit à l’intérieur entouré par le bois chaud du chalet ou sur la terrasse avec les vaches pour compagnie, il me semble encore croquer à pleine dent dans le pain épais, le fromage et les garnitures. Il y a avait-il des tomates dedans? Aujourd’hui je crois qu’elles n’ont pas changé et sont toujours aussi inimitables. L’estomac plein, nous redescendions en dévalant les pentes et en chantant à tue-tête. Fallait-il inculper l’alcool présent dans le fromage des tartines pour cette joyeuse humeur? Je pense que l’énergie apporté par la nourriture suffit à expliquer le phénomène.
Mais nous venons de petit déjeuner et nous avons un autre train à prendre… Le train monte, monte, monte donnant un point de vue toujours plus large. Des hommes en tenue d’ouvrier et casque au poing, montent avec nous. Ils parlent français, italiens, espagnol, allemand, anglais… Arrivés à la Kleine Scheiddegg, il faut traverser la voie et attendre le train qui grimpe la Jungfrau Bahn. Je mets ma veste en prévision de la température froide. Juste avant de rentrer dans le tunnel, nous faisons un dernier stop; Eigergletscher. Une minuscule station en travaux qui semble avoir de grandes ambitions de s’agrandir, accueille les ouvriers. Visiblement hommes et machines viennent du monde entier pour d’autres projets titanesques sur la Jungfrau Bahn. Ici des marcheurs peuvent aussi redescendre à pied sur la vallée en empruntant l’Eiger trail.
Quinze minutes à rouler dans le tunnel et puis encore un arrêt. Cette fois tout le monde descend car nous avons quelques minutes pour découvrir la vue sur le glacier Ischmeer depuis de larges fenêtres percées dans la roche de l’Eiger. Un coup d’oeil à la vue que nous n’aurions jamais pu découvrir à moins d’être des virtuoses de l’escalade et il faut déjà réembarquer…

Sur la Jungfrau Joch, nous sortons de la gare souterraine et arrivons sur un grand bâtiment vitré. Les portes qui donnent sur les balcons sont fermées. Le vent souffle trop fort. Pas de vue, le paysage est blanc et opaque à cause du brouillard. Nous prenons l’ascenseur pour l’observatoire Sphinx. De là nous montons directement sur la terrasse perchée au dessus du vide. Le vent hurle lugubrement par bourrasques. L’air est froid mais la température ne descend pas au dessous de 0°c. Sur la rambarde, un choucas gonfle ses plumes et nous observe indifférent des tourbillons de neige et de pluie qui l’entourent. Le vent est vraiment violent par rafales. Quand je me penche vers le bas, j’aperçois la roche qui descend à pic accrochant ça et là des bouts de neige. Une échelle raide et étroite s’agrippe à la paroi et un câble fixé dans la roche s’élance dans le vide. Mon estomac se noue et je pense aux récits d’ascensions d’alpinistes et aux romans de Frison-Roche… Déjà à seulement 3571m, le spectacle est effrayant sous mauvais temps. Le choucas ouvre les ailes et d’un seul coup s’élance à la vertical dans le gouffre glauque et opaque pour y disparaitre. Cette fois j’ai vraiment la tête qui tourne. La roche noire, la neige et la pluie qui voltigent, le vent douloureux comme un gémissement humain… Si je regrette ne pas voir la vue, je m’imprègne de ces conditions qui ne doivent être qu’un petit grain comparé à la violence que peut prendre la montagne à cette altitude.

Redescendu dans le bâtiment du bas, nous prenons le couloir qui nous fera prendre pied sur la neige. Balisé par des piquets, le vent souffle moins fort et nous avançons un peu sur le chemin blanc. Un panneau indique 45 minutes jusqu’au refuge Mönchsjochhütte. Cela ne sert à rien d’y monter, vu le brouillard. Le vent pousse les nuages et tout à coup le Glacier d’Aletsch se découvre sur notre droite. Un peu sale, un peu bleuté, il est magnifique et d’ici il a l’air très plat entre le noir abruptes des montagnes. Mais sur la neige immaculée qui y descend plus doucement face à nous on voit se dessiner de minces et traitres crevasses. Un peu consternés, nous observons des parents et deux jeunes enfants qui armés de cordes et de mousquetons, s’apprêtent à descendre sur le glacier. Le tonnerre gronde sous des nuages noirs qui coiffent méchamment la cime de la Jungfrau. Quelle folie! Le temps est très instable et nous ne sommes plus étonnés que l’hélicoptère soit sans cesse en mouvement. Nous poursuivons le parcours souterrain sur la Jungfrau Joch. Un tunnel de glace qui ressemble à du cristal complète l’expérience ainsi que l’histoire du lieu expliquée ça et là. Le ciel se dégage par moment et nous allons une dernière fois sur l’observatoire pour y goûter la vue imprenable qui s’ouvre un instant. D’un côté on aperçois la vallée large et lointaine et de l’autre le Glacier d’Aletsch encerclés par les sommets.
Pour finir cette longue matinée, nous reprenons le train de 12h45 sur Kleine Scheidegg. En marchant plus loin de la gare, Derek y fait voler le drone. La prise de vue du train qui monte sera très belle. On remballe le matériel et nous avons juste le temps de grimper dans le train qui descend. Dans la course, j’ai du perdre ma casquette parce que je m’aperçois en bas qu’elle n’est plus accrochée à mon sac à dos. Pleins de regret gourmand, nous sommes repassées devant le restaurant d’Alpiglen mais le programme ne permet pas une pause. Il faut maintenant partir sur Lauterbrunnen.

Lauterbrunnen
A 796m d’altitude, niché dans une vallée longue et étroite, Lauterbrunnen est la vallée aux 72 chutes d’eau qui tombent le long de parois vertigineuses en vaporisant une poussière d’eau. Celle de Staubach qui fait dos au village et dans laquelle flotte un drapeau Suisse est particulièrement connue. Sa renommée ramène chaque années des voyageurs du monde entier et vous aurez surement déjà vu en photo le clocher de l’église sur fond de montagne et de cascade.
Sur les sentiers charmants et à l’ombre des pensions, de nombreuses personnalités sont venues ici peindre ou méditer. Les chalets sombres avec des volets peints en vert ou rouge sont à la fois chics et sans prétention. Nous prenons nos marques à l’hôtel Silberhorn. Le décor de l’hôtel est très authentique et les hôtes aimables. La chambre spacieuse s’ouvre ici aussi sur un balcon avec vue sur les montagnes.
Nous n’avons pas mangé depuis 7h30 du matin et il est presque 16h. Un pain Tessinois et des petits saucissons fumés achetés au Coop de Grindelwald vont faire un festin de roi pour nos pauvres estomacs. Assis sur la terrasse devant la pluie qui tombe drue, nous déchirons le pain à la mie filante et dégustons les saucissons… Ce genre de repas sans couvert me parait meilleur qu’un restaurant étoilé. Nous aurions voulu monter jusqu’à Wengen perché plus haut et accessible seulement en train mais l’orage gronde. Il ne reste qu’à prendre la voiture pour découvrir les environs.

Ici les prés verdoyants sont plats et entourés de hautes murailles. Un torrent bouillonne le long d’un chemin. Aux chutes de Trümmelbach, un grand parking accueille les visiteurs qui viennent admirer la cascade souterraine. Mais le plus joli, ce sont les bâtiments des alentours. L’architecture victorienne rencontre l’artisanat Suisse pour créer des chefs d’oeuvres uniques. Une accalmie permet de sortir filmer mais pas pour longtemps. De retour au village, nous marchons encore un moment entre les chalets, les pommiers et les vaches. L’orage reprend de plus belle et nous rentrons à l’hôtel pour le dîner.
Dans la salle à manger au plafond bas lambrissé, nous voyons passer des pizzas fumantes et des röstis appétissants. Le restaurant de l’hôtel à l’air très réputé. En dégustant notre soupe aux spätzles, un chant en allemand s’élève. Nous sommes sous la véranda et les voix viennent de l’intérieur. Commence alors un concert de Jodel tour à tour mélancolique ou joyeux. Une belle voix féminine monte plus haut que les autres pour accrocher dans l’air des notes claires et pures. Ces chanteurs alpins nous font entendre un concert d’une grande beauté.
Repue, je remonte sur le balcon pour écrire pendant que Derek va filmer le train jaune qui monte vers Wengen dans le soir tombant. Il rentre essoufflé et mouillé, le drone l’a emmené encore un fois dans une aventure mouvementée. Se posant sans crier gare de l’autre côté du village, Derek doit entrer dans des jardins privés pour le récupérer. Le métier de vidéaste ne laisse décidément que peu le temps de souffler.
Jeudi 24 Juillet
Le lac de Brienz

La matinée qui termine nos aventures s’annonce radieuse. Le soleil s’élève doucement au dessus des montagnes laissant pour l’instant le village de Lauterbrunnen dans une ombre paisible et fraîche tandis qu’il illumine déjà Wengen. Il faut réduire les sacs au minimum et enfiler un maillot sous des vêtements légers. Un au-revoir à ce petit village et les bagages bouclés nous descendons sur la vallée. Aujourd’hui Derek a rendez-vous avec Pascal Zeller au village de Wilderswill.
Pascal pêche aux brochets sur la lac de Brienz. Il est guide de pêche et photographe de mariage avec son épouse et son fils. Parfois professeur de ski, lui est son épouse ont commencé comme photographes de canyoning avant qu’un terrible accident en 1999 ne tue 26 personnes et ne fasse disparaître ce sport de la région. L’événement donne envie au couple de se tourner vers une activité moins risquée. Les touristes affluent de partout dans le monde pour venir se marier au bord du lac et l’été la famille est très occupée. Mais à cause du Covid, cette saison est calme nous aurons tout le temps de passer une belle journée de photographies et de films.
Wilderswil est un joli village idéalement situé aux pieds des montagnes à 10 minutes du lac de Brienz. Nous nous arrêtons devant le chalet de Pascal. Un heureux encombrement y règne. Un opulent plant de courgettes dans un énorme pot est ombragé par du linge qui sèche au bout d’un fil. Pascal nous hèle joyeusement du haut son balcon. Il a prévu un bateau gonflable pour nous, afin d’avoir une perspective quand Derek le prendra en photo. Dans un petit atelier aux peintures aquatiques, le compresseur se charge de gonfler l’embarcation à bloc. Elle est ensuite sanglée sur le toit de la voiture de Pascal et nous voilà partis vers le lac.
Pour la petite histoire, Le lac de Thune et le lac de Brienz sont deux joyaux bleus reliés entre eux par une rivière tandis que la ville d’Interlaken s’étend entre les deux. Accueillant de prestigieux tournois de golf, l’âge d’or d’Interlaken commence en 1800 pour tomber légèrement dans l’oubli après les deux guerres mondiales. Le lac de Thune, plus grand et plus chaud attire une multitude d’embarcations de toutes tailles tandis que celui de Brienz préserve un côté plus sauvage et incognito. C’est exactement le genre de lieu que Derek préfère photographier.
A Bönigen, l’agglomération à la pointe du lac, quelques bateaux sont amarrés à une petite marina. Vu la taille réduite du bateau gonflable, je doute qu’il sache tenir deux personnes et je suggère de rester sur la plage de galets pour écrire en les attendant. Pascal à une meilleure idée. Le lac est longé par un chemin de randonnée d’où on peut apercevoir les poissons. C’est parfait, Derek et Pascal me déposeront à Iseltwald à 1/3 du lac. Je pourrais ainsi profiter d’une petite balade en bateau avant de marcher jusqu’au Grand Hotel Giessbach – un hôtel Victorien féerique situé juste à coté d’une chute d’eau de 500m. Le retour sur Bönigen me fera ainsi une jolie trotte dans les sapins d’une heure et demi.
Nous faisons connaissance avec le bateau de pêche de Pascal. Noir avec un fond large et plat, c’est un ancien bateau de l’armée qu’il a aménagé de bancs et de rangements. Il a une allure sportive et agressive. Nous embarquons le matériel, le bateau gonflable et nous démarrons doucement puis de plus en plus vite sur l’eau turquoise. Le vent fait voltiger les cheveux, le souffle est frais tandis que le bateau glisse sur l’eau qui scintille sous le soleil.
Comme Pascal nous l’a promis, le versant droit est couvert d’une forêt sauvage et vierge encore dans l’ombre. Ce lac est décidément peu habité. Des aigles nichent en haut des falaises. Nous sommes seuls sur la grande étendue turquoise et l’impression est magique. Il est temps de tester l’embarcation de fortune qui est mise à l’eau. Derek s’y glisse prudemment pieds nus. Je lui tend l’appareil photo, le drone et je réussi même à y rentrer moi aussi avec une paire de rames. Nous avons un grand sourire quand Pascal nous abandonne pour traverser le lac en trombe. Nous sommes vraiment une minuscule tache rouge perdue dans un océan de bleu.
Derek fait décoller le drone pour suivre le bateau de Pascal qui vole au dessus de l’eau. L’image est superbe ! Au bout de quelques minutes, l’alerte à la batterie plate retenti. Derek ramène le drone tandis que Pascal revient auprès de notre embarcation. Soudain, c’est la panique, le drone n’obéit plus aux commandes et veut se reposer là ou il a décollé. Sauf que le bateau à bougé et c’est maintenant l’eau qui va l’accueillir… Maladroitement, j’essaie de plonger les rames pour me rapprocher tandis que Derek tend tout son corps vers l’appareil. En une seconde il plonge dans l’eau et coule à pic. Sans même que je n’ai eu le temps de le voir Derek a sauté tête la première et son bras ressort, soulagé mais quand même un peu blême, avec au bout le drone dégoulinant. Deux drones en une semaine c’est vraiment beaucoup de malchance quand Derek le fait voler depuis 3 ans sans un seul accident.
On remonte dans le bateau de Pascal. Il n’y a pas grand chose à faire, malgré le fait que la baignade n’ait duré que quelques secondes, l’appareil est plein d’eau et l’objectif de la caméra ressemble à une petite piscine. Il va falloir le laisser sécher un bon moment avant de prendre la mesure des dégâts… Cette fois au moins, nous avons la carte SD et les vidéos. Mais il faut faire avec et qui n’a jamais pris de risque avec un drone, n’a non plus jamais pris de belles images.
Puisque que j’arrive à rentrer dans le bateau gonflable, plus question que je ne mette pied-à-terre et je suis préposée au pilotage de la bouée rouge. On a bien vu que mes talents étaient maigres mais c’est toujours mieux que rien.
La berge du lac est formée de petites anses mystérieuses. Nous passons d’abord devant la chute qui gronde délicieusement avant de se mêler en gros bouillons à l’eau du lac. Un petit pont est suspendu au dessus. Un peu plus loin, c’est l’hôtel Giessbach. Perché une centaine de mètres au dessus de l’eau, il surplombe sur la droite un ponton de bois. C’est tellement beau… Je remplis mes yeux de la magie de l’endroit. A part quelques marcheurs sur la rive du lac et le bateau de croisière qui passe de tant à autre, nous sommes toujours seuls.

Pascal sort son matériel de pêche. Avec un sourire aussi large que son leurre, il s’apprête à pratiquer sa passion. La canne est longue, le fil très lourd. Il faut placer le bateau à une trentaine de mètres de la berge et envoyer l’amorce dans les branches et le bois mort qui tombent à l’eau. C’est là que les brochets se reposent dans l’ombre. D’une main experte, le pêcheur fait gracieusement siffler la ligne en une large courbe, pour la faire atterrir à l’endroit précis visé. Parfois, l’hameçon s’accroche à un bout de bois et il faut de la patience et des petits mouvements secs du poignet pour le décrocher. Le jeu est lent et impressionnant de grâce. Inlassablement le mouvement va et vient. Moi aux rames, Derek derrière l’objectif, nous ne nous lassons pas d’observer ce sport délassant.
On cuit un peu dans le petit canot gonflable et après avoir capturé la pêche sous tous les angles, Pascal nous propose de sauter du bateau pour se baigner. Visiblement, ses clients refusent souvent cette proposition et cela nous parait incompréhensible tellement cela fait du bien. Se plonger avec délice dans l’eau claire et accueillante, laisser le contraste des 19°c rafraichir la peau brûlante et gouter au panorama sauvage que les yeux découvrent à fleur d’eau, c’est l’expérience la plus exaltante de la semaine. Même si quelques kayaks passent parfois, on se sent seuls au monde et libres de tout sous le ciel azur. Après avoir s’être séché un moment au soleil, nous cassons la croûte. Assis au volant du bateau qui dandine très doucement sous le soleil brulant de midi, Pascal, la peau noircie, sort une miche de pain et du saucisson de sanglier de son sac. Il porte un regard heureux sur son univers et nous propose un morceau du précieux met qui sent bon la fumée. Il n’y a qu’en Suisse que le saucisson à ce goût fumé inoubliable grâce à des méthodes artisanales. Je n’en avais encore jamais mangé de si bon et Derek et moi acceptons avec grâce une deuxième tournée.
C’est quand les ombres ont toutes été chassées par un soleil de plomb – je le sens sur mes cuisses et mon nez qui rougissent dangereusement malgré mon petit bronzage – que le pêcheur se redresse et nous déclare : “Now, we will really try to catch some fish”…
Soit, nous reprenons place dans la cocotte minute flottante avec rame et appareil photographique. Le jeu lent et patient recommence. Cette fois c’est un leurre plus voyant et rose qui vient chercher les proies à l’ombres des branchages de la berge. Presque une heure passe sans résultat. Tout à coup, à la limite de ce que Pascal s’était fixé pour s’arrêter, la ligne se tend. Ca y est, c’est bel et bien un brochet qui secoue vigoureusement le fil. La proie est ramenée après quelques secousses et Pascal est un peu déçu car c’est un jeune trop petit à son goût. Pascal nous explique que c’est à cet endroit même qu’il a péché son record et comme aujourd’hui à une heure improbable ou pas un pêcheur ne prendrait la peine de jeter sa ligne. Le brochet en est quitte pour une séance de pose hors de l’eau.

En récompense, encore une baignade plus que bienvenue. Des nuages ténébreux s’amoncellent doucement sur la cimes des montagnes mais le grain est pour ce soir. Tout est si calme et paisible que l’on resterait sur l’eau à l’infini. Pourtant il nous faut être de retour à la voiture à 16h et il est temps de lentement retourner à la réalité. Le temps de ranger les affaires et une brise s’est levée. En quelques secondes à peine, l’eau qui était lisse comme un miroir s’hérisse de crêtes et de creux. Le fond plat du bateau se met à taper sur les vagues. Nous mettons soigneusement les affaires à l’abri avant d’augmenter la vitesse pour survoler les vagues. La course est grisante. Le coque du bateau s’élève et retombe en nous éclaboussant sur l’eau mouvementé. Traverser le lac dans le vent et les embruns, voilà une expérience que je n’oublierais pas de sitôt.
A la marina, c’est avec regret que nous rangeons le matériel et que la bâche est remise sur le vaillant bateau. Nous remercions chaleureusement Pascal pour cette journée hors du commun et repartons pour une toute dernière aventure.
Dernière recherche du drone…
La veille, Derek qui ressasse la perte des vidéos prises à Zermatt a retrouvé les coordonnés GPS du drone sur la dernière photo prise dans sa chute.
Il semble un peu en hauteur par rapport à l’endroit ou nous avons déjà cherché. Il nous faut donc, encore une fois, se parker et enfiler ses bottines pour remonter à l’endroit sinistre du restaurant abandonné. Il nous laissera vraiment un mauvais souvenir.
Alors que la première fois la montée a semblé si courte, aujourd’hui, épuisés et brûlés de soleil, elle parait interminable. Je laisse Derek filer tandis que j’essaie d’oublier la douleur que me fait une cloche qui s’est transformée en plaie gonflée et à vif. Pieds et bottines étaient pourtant déjà éprouvés aux longues marches.
Derek commence à escalader une pente plus raide, les cordonnées GPS en main. Je le vois cheminer de plus en plus haut en s’agrippant aux petits sapins. Quand il s’arrête devant une pente qui n’a pour matelas de rattrapage que le vide, j’espère vraiment qu’il va faire demi-tour… A contre-coeur, c’est ce qu’il fait en nous repartons en silence. J’ai retiré mes bottines pour la descente et c’est nettement plus agréable de marcher pied nus sur les cailloux que le frottement intenable de la plaie.
Une dernière fois les pieds dans le torrent, s’éclabousser le visage et puis un au revoir aux montagnes. Il reste un bon bout de route avant l’étape de ce soir et le retour à la maison le lendemain.
Salomé Malou
Photographies par Derek Malou
“Toute la beauté d’un voyage, toute l’intensité d’une aventure n’a d’égale que la joie de rentrer chez soi”.